Depuis plusieurs jours je trouve des abeilles mortes devant une ruche, j’en vois traînantes dans les herbes, certaines tremblantes.
La mortalité n’est pas énorme, ni fulgurante, mais permanente.
Cette colonie qui n’a déjà pas été très performante l’année dernière, ne se développe pas comme les autres.
Il va falloir prendre une décision.
Je refais une visite complète de la ruche :
- il n’y a pas de mauvaise odeur,
- il y a 5 cadres de couvain. Il n’est pas parfaitement homogène mais on ne peut pas dire qu’il soit en mosaïque,
- les opercules du couvain ne sont pas affaissés. Je vérifie par le test de la brindille enfoncée dans des alvéoles de couvain qu’il n’y a pas de phénomène de « larve filante » :
- il n’y a pas de traces de diarrhée,
- le couvain de mâles est bien groupé en bordure du nid à couvain,
- la population reste faible,
- alors que les autres ruches sont en train de remplir leur hausse, celle-ci n’arrive pas à stocker du miel,
- précédemment j’avais vu qu’il n’y avait pas un nombre anormal de varroas sur la trappe de comptage.
La mortalité étant insuffisante pour pouvoir espérer faire faire des analyses : il faut que je prenne une décision.
Je reprends mes livres et mes notes prises en formation pour confronter les symptômes constatés avec ceux des différentes maladies possibles.
Je me dis que :
- si c’est de la nosémose (possible même en absence de diarrhée) et/ou de la paralysie chronique : il n’existe pas de médicaments autorisés : il faut éliminer cette colonie.
- cette colonie risque d’essaimer et donc de propager ses problèmes : il faut l’éliminer.
- cette colonie va lâcher dans la nature des mâles d’une lignée inintéressante : il faut l’éliminer.
- c’est une non-valeur au sens apicole : il faut l’éliminer pour récupérer la ruche et pouvoir héberger une nouvelle colonie saine (il y aura bientôt des essaims à attraper).
- par respect des autres apiculteurs du secteur : il faut l’éliminer.
Maintenant que je me suis « intellectuellement » convaincu de la décision à prendre, il va falloir passer à l’acte et ça c’est vraiment un très triste moment : tuer ses abeilles que l’on bichonne à longueur d’année : dur, dur. (Que doit être la détresse des éleveurs de bovins quand on leur fait abattre leur troupeau pour cause de maladie de la vache folle !)
Alors au petit matin, avant que les abeilles ne sortent, je les enferme et emmène la ruche à l’écart.
J’allume une mèche de soufre sur un support métallique que je dépose sur les cadres et referme la ruche.
J’entends leur bruissement monter dans les vapeurs du gaz mortel, puis redescendre doucement et un silence de plomb me tombe dessus.
Il faut dominer l’émotion et s’atteler à la désinfection.
Je fais un grand trou dans lequel je brûle tous les cadres et cadavres puis je le rebouche avant que des pilleuses ne viennent s’intéresser à d’éventuels résidus.
Je passe l’emplacement initial de la ruche à la flamme du désherbeur thermique.
L’intérieur du corps de ruche est passé au chalumeau, gratté, repassé au chalumeau.
L’extérieur sera aussi nettoyé, gratté, flambé puis repeint.
Le plancher plastique est nettoyé puis mis à tremper plusieurs heures dans de l’eau de javel.
Le lendemain je lis dans « Abeilles et Fleurs » d’avril n° 715 que plusieurs cas de mortalité ont été signalés en Touraine et que cela pourrait être une conséquence de l’autorisation de mise sur le marché du CRUISER® et du PROTÉUS®.
On sait aussi maintenant par l’étude publiée par l’INRA d’Avignon (voir notre newsletter n° 4) qu’il existe une interaction toxique entre les microsporides (Noséma) et les insecticides néonicotinoïdes.
Je vais jeter un coup d’œil aux champs de colza voisins de la Huberdière : bien qu’ils soient en pleine floraison, il n’y a pas un seul insecte (abeilles, mélighètes, ou autres).
Mais :
- il fait sec et le nectar ne monte pas dans les fleurs,
- il n’a pas plu depuis plusieurs semaines et les produits de traitement pulvérisés sur les colzas n’ont pas été lessivés : ça ne doit pas être attractif pour nos abeilles,
- cela fait plusieurs années que l’on constate que les abeilles ne vont pratiquement plus sur les champs de colza (tant pis pour la quantité, tant mieux pour la qualité du miel de printemps).
Je dois aussi me demander : « quelle erreur ai-je pu commettre dans la conduite de mon rucher ? ».
Comme c’est la première année qu’il m’arrive un phénomène de ce type, je pense au fait que c’est aussi la première année où je n’ai pas eu à nourrir les abeilles à la sortie de l’hiver puisque les réserves étaient suffisantes suite à un nourrissement un peu plus important à l’automne comme conseillé par Jos GUTH. Comme l’hiver a été particulièrement froid et long, aurais-je du pratiquer un nourrissement de stimulation au sirop comme certains l’ont préconisé ? Mais les autres colonies s’en sont bien sorties sans ça.
En fait, aurais-je du déjà intervenir sur cette ruche à la fin de l'été dernier? C’est bien connu depuis longtemps : il ne faut hiverner que des colonies fortes.
Les organismes plus faibles résistent moins bien aux agressions externes et sont aussi plus sensibles aux maladies.
Il faut aussi relativiser le problème : 10 % de perte en sortie d’hiver, c’est banal (la moyenne nationale a tendance à s’approcher des 30% et de 50% ou plus dans certains secteurs).
En attendant, pour l’heure, les autres colonies vont bien et on peut garder l’espoir qu’elles nous apportent des moments plus heureux.
Dans quelques jours elles vont trouver un excellent pollen sur les nombreux chênes environnants qui va naturellement les redynamiser.
Et les érables champêtres des haies vont aussi fournir pollen et nectar.
Merci de votre attention et …
… à bientôt sur http://miel-et-abeilles-en-touraine.over-blog.com
… pour un article, je l’espère, un peu plus gai.
Désolé pour la tristesse de celui-là mais cela fait partie des émotions que l’apiculture nous procure.
Henri
(Remerciements et Bibliographie : voir l’article n° 0 http://miel-et-abeilles-en-touraine.over-blog.com/article-0-remerciements-et-bibliographie-43600752.html )