Le départ d’un essaim est un spectacle magnifique à observer.
Comment, pourquoi, d’un coup, environ les deux tiers de la population d’une ruche s’en va-t-il en entraînant la vieille reine ?
Ce départ n’est pas fait sur un coup de tête, la colonie l’a préparé depuis plusieurs jours en élevant une ou plusieurs jeunes reines par instinct de survie de l’espèce.
Plusieurs causes peuvent déclencher cet instinct mais c’est d’abord le seul moyen pour l’espèce de se multiplier et de conquérir de nouveaux territoires.
C’est donc un phénomène naturel et pourtant j’ai dû très vite comprendre qu’il était mal venu de dire que ses ruches essaimaient sous peine de passer pour un mauvais apiculteur.
En effet un « bon » apiculteur se doit d’avoir des ruches saines mais aussi d’être performant en récoltant beaucoup de miel.
Or, dès qu’une ruche essaime, c’est l’assurance de ne pas avoir de récolte sur la prochaine miellée, le temps qu’elle se refasse une population suffisante, voire même la perte totale de la colonie si la dernière jeune reine a un problème ou ne revient pas de son vol nuptial.
(Voir le blog intéressant de « Abeille Pat » présentant quelques aléas d’élevage de reines: http://passion-apiculture.over-blog.com/article-heureux-evenement-75906477.html )
Les « bons » apiculteurs, et obligatoirement les professionnels, vont donc tout mettre en œuvre pour éviter l’essaimage (élevage de reines pour les renouveler tous les ans, essaimage artificiel, sélection des lignées peu essaimeuses, certains iront même jusqu’à visiter leurs ruches toutes les semaines, en période d’essaimage, pour détruire les cellules royales).
Lors des visites de ruchers organisées dans le cadre du Plan Sanitaire d’Élevage auquel se soumettent les apiculteurs membres du Groupement de Défense Sanitaire Apicole, la question de l’essaimage est aussi posée mais dans un souci sanitaire. En effet, une multiplication de l’essaimage peut aussi être un signe de maladie et donc un risque de prolifération de la maladie aux autres ruchers.
Accessoirement, du fait des désagréments qu’un essaim peut causer au voisinage, beaucoup d’apiculteurs préfèreront aussi ne pas trop se vanter que leurs ruches essaiment.
On peut donc en déduire que l’essaimage naturel est un vrai problème pour l’apiculteur.
Pourtant, je me souviens, à mes débuts, avoir rencontré un apiculteur exposant dans un salon de produits bio qui m’avait demandé si mes ruches essaimaient. Je lui avais répondu naïvement « oui ». Il m’avait alors demandé si je faisais quelque chose pour les en empêcher. Je lui avais répondu, tout aussi naïvement, « non » (à l’époque je ne savais même pas qu’on pouvait faire quelque chose contre l’essaimage). Et il m’avait alors fait la remarque suivante : « Et bien tu n’auras pas de problème ! ».
Sur le coup je n’avais pas compris son raisonnement et je ne savais pas de quel problème il voulait parler (… et des problèmes, j’en ai quand même eus !).
Alors quel intérêt peut présenter l’essaimage naturel ?
Pour l’essaim qui est parti :
- Le métabolisme de ses abeilles va subir un bouleversement considérable, une excitation extrême et un stress total tendu vers la survie. Avant de partir elles se sont gorgées de miel (on parle de la « fièvre d’essaimage ») puis, arrivées à destination, il leur faut bâtir très vite de nouveaux rayons en brûlant ces calories emmagasinées.
C’est la raison pour laquelle il est conseillé de ne pas nourrir un essaim dans les premiers jours suivant sa capture pour permettre aux abeilles de profiter de cette période de « purge » de l’organisme alors qu’on pourrait avoir tendance à le faire pour l’inciter à se fixer dans son nouveau logement.
- L’essaim va construire des rayons avec de la cire neuve indemne de bactéries, de champignons (spores), et de résidus toxiques qui s’accumulent dans les vieilles cires (sauf s’il s’installe dans une vieille ruche abandonnée : c’est pourquoi il est interdit de laisser des ruches à l’abandon).
- Dans la foulée de ce dynamisme, certains essaims naturels capturés en début de printemps peuvent donner d’excellentes récoltes.
Pour la ruche d’origine :
- Si tout se passe bien, elle va pouvoir redémarrer avec une jeune reine plus prolifique que l’ancienne, avec des arrêts de ponte moins marqués et une espérance de vie plus longue.
- Entre le départ de la vieille reine et le début de la ponte de la nouvelle jeune reine, il y a une période sans couvain dans la ruche qui bloque ainsi la reproduction du varroa. J’ai lu dans une de nos revues apicoles qu’un essaimage naturel équivalait à un traitement anti-varroa intermédiaire avec une efficacité de l’ordre de 70 %.
C’est aussi le cas pour l’essaim qui aura besoin de quelques jours avant d’élever à nouveau du couvain. Et à chaque fois qu’on attrape un essaim, on en profite aussi pour faire un traitement anti-varroa pour repartir sur de bonnes bases.
- En plus du nettoyage obsessionnel de leur intérieur avec éjection à l’extérieur des saletés et des organismes malades ou intoxiqués (larves, nymphes ou adultes), l’essaimage est le seul moyen supplémentaire disponible aux abeilles pour lutter contre les maladies et les nuisances de leur environnement. Cela semble donc dommage de les en priver.
Perpétuation de l’espèce et prophylaxie, l’essaimage naturel est donc une solution pour les abeilles.
Suivant cette logique naturaliste, Christian Tailliez (professeur de biologie et apiculteur amateur) nous confie dans « L’Abeille de France » n° 980 sa conduite de ruche incitant à l’essaimage en ne mettant jamais plus d’une hausse. Il favorise délibérément la reproduction naturelle par rapport à la production de miel et espère une adaptation de l’espèce à la nouvelle situation environnementale (varroa).
D’autres personnes vont même jusqu’à mettre en question les pratiques apicoles de professionnels « producteurs de miel » en stigmatisant leurs pratiques anti-essaimage comme source de tous les maux de l’apiculture.
Cela me semble quand même assez réducteur au point d’en oublier tous les autres facteurs de troubles de la santé des abeilles.
Je connais aussi des apiculteurs professionnels qui limitent l’essaimage naturel en élevant des reines ou en pratiquant l’essaimage artificiel systématique et qui n’ont pas de problèmes sanitaires supplémentaires.
Alors que nous n’avons que de 0 à 10 % de mortalités hivernales, les essaimages naturels nous provoquent régulièrement 20 % d’orphelinages tout juste compensés par les essaims piégés ou attrapés.
(Les anciens disent que, « dans le temps », il y avait moins d’orphelinages : problème environnemental et/ou arrivée du varroa depuis 1982 ?)
On comprend que cette situation impose d’adopter un autre type de conduite de rucher pour ceux qui ont plus de ruches et qui espèrent une rétribution de leur travail.
Avec une récolte de miel de forêt la plus minable que nous n’ayons jamais faite, Marie-France est très déçue de ne pas pouvoir satisfaire la demande de nos amis.
Je vais bien essayer de lui expliquer que : … la sécheresse, ... le vent, … la fraîcheur pendant la floraison des châtaigniers et un orage qui lave les fleurs, … nos petites abeilles noires locales pas encore adaptées au réchauffement climatique, … nos essaims naturels qui ont participé à la biodiversité, … et la récolte exceptionnelle de miel d’acacia, … et peut-être une prochaine bonne récolte de miel toutes fleurs d’été, …
… mais l’essaimage naturel et la question de sa limitation, ou non, reste complètement ouverte dans notre conduite de rucher.
Merci de votre attention, et … à bientôt sur :
http://miel-et-abeilles-en-touraine.over-blog.com
Henri
(Remerciements et Bibliographie : voir l’article n° 0 http://miel-et-abeilles-en-touraine.over-blog.com/article-0-remerciements-et-bibliographie-43600752.html )