Après une bonne année durant laquelle j’ai moins participé aux travaux apicoles, j’ai repris le chemin du rucher avec plaisir.
Ce retour m’a fait sentir combien l’expérience sensorielle ne s’oublie pas et fait que le travail au rucher est un temps de réceptivité sensorielle très fort, pour le « jardinier d’abeilles » comme dirait Henri.
Tous nos sens sont impliqués, même le 6ème !
À la vue, nous observons ce qui se passe au trou de vol : les entrées, les sorties, l’organisation des abeilles, celles qui « glandent » sur la planche d’envol car orphelines ou celles qui attendent anxieusement, en battant le rappel, le retour de leur reine partie pour son vol nuptial.
Au sol, nous vérifions s’il n’y a pas de signes de mortalité ou des symptômes inquiétants comme : une couleur et une brillance anormales, une déformation des ailes ou des tremblements d’abeilles traînantes. Au matin, nous observons le travail des nettoyeuses qui s’affairent à sortir de la ruche les déchets et les abeilles mortes au cours de la nuit. Nous avons eu ainsi une fois l’immense émotion d’assister à la sortie de la dépouille d’une reine, portée majestueusement par une dizaine d’abeilles procédant avec une douceur et une minutie dignes de funérailles royales.
Bien sûr, nous observons les sacoches de pollen que rapportent les butineuses : belles pelotes de pollen noir de coquelicots en ce moment.
La grosseur des pelotes nous renseigne sur la présence de couvain ou non à élever par la colonie.
À l’intérieur de la ruche, nos yeux se sont habitués à détecter les déplacements anormaux des abeilles sur les cadres. Une fébrilité inhabituelle des abeilles qui courent dans tous les sens peuvent nous alerter sur un éventuel orphelinage. Nous contrôlons aussi la construction des cadres, s’ils sont tous cirés, si les réserves sont suffisantes, s’il y a des cadres endommagés… L’observation du couvain est minutieuse : son aspect homogène, la présence de jeunes larves, la présence de cellules royales, la répartition du couvain de mâles.
Après plusieurs saisons de pratique, notre vue devient capable de repérer la reine parmi les milliers d’ouvrières même si elle n’est pas marquée, comme c’est le cas chez nous.
J’aime aussi observer ce métissage qui fait que des abeilles noires deviennent au fil du temps bariolées comme des clowns en raison des mélanges génétiques qui sont intervenus au gré des rencontres.
Mais de tout cela, le spectacle des abeilles rentrant à la ruche au soleil couchant demeure le grand régal des yeux.
Nos oreilles ne sont pas en reste non plus : les bruits de la colonie sont très riches d’informations à capter et comprendre : le bruissement d’une colonie qui travaille, le bruit « creux » d’une colonie dépeuplée, le bruit de climatisation des ventileuses qui assurent la bonne température à l’intérieur, le ronflement de la colonie riche en mâles et qui s’apprête à essaimer. Une musique très particulière que nous n’avons pas encore bien repérée : le chant des mères, au moment où celles-ci se renouvellent (à écouter sur un autre blog intéressant : http://www.passion-apiculture.com/article-2-elevage-des-reines-2013-le-chant-de-la-reine-des-abeilles-118323280.html ).
Le bruit d’hélicoptère de la gardienne qui vient pour nous piquer afin de protéger sa colonie de l’intrus est aussi très spécifique.
Mon bruit préféré, c’est quand tout est calme, le soir en période de butinage, et que le rucher ronronne comme une usine laborieuse. L’apaisement est total.
L’odorat est ce sens archaïque qui nous met en relation avec l’intimité profonde de la colonie.
Une colonie saine sent bon le miel, la cire et la propolis. Nous sommes à l’affût de mauvaises odeurs et redoutons d’avoir un jour à sentir l’odeur fétide, aigre ou l’odeur de colle de poissons caractéristique des loques.
L’odeur de venin est forte et entêtante, quand très en colère, elles sont venues hérisser nos gants de leurs dards.
Bien sûr, l’odeur du miel est celle que préfère l’apiculteur. Avant même de voir les fleurs de châtaigniers épanouies, la ruche sent bon le châtaignier. Les abeilles nous renseignent en permanence sur l’environnement. L’odeur mentholée du miel de tilleul est reconnaissable facilement et je ne parle pas de « l’odeur de pieds » typique du miel de sarrasin (qui n’a pas le goût de l’odeur, fort heureusement !).
Même s’il faut enfumer les abeilles pour travailler, nous limitons de plus en plus l’usage de la fumée, produite uniquement par la combustion de notre lavande séchée (voir article 46 - Enfumer à la lavande : http://miel-et-abeilles-en-touraine.over-blog.com/article-46-enfumer-a-la-lavande-111019913.html ). Nous veillons à préserver notre muqueuse nasale d’une irritation trop importante.
Les sensations tactiles sont très différentes selon que l’on met des gants ou non. Nos mains nous renseignent notamment sur le poids des cadres de hausse lors de la récolte. Nous aimons bien les cadres bien lourds : plus de 2kg pour un beau cadre de hausse bien plein au bout des doigts !
Cire, propolis, miel collent tous aux doigts, mais pas de la même façon. Ancienne infirmière, je reste très attachée à l’hygiène des mains : laver mains, gants et lève-cadre entre chaque ruche visitée demeure une mesure prophylactique de base.
La sensation tactile la moins agréable : la piqûre ! Toutes les abeilles ne sont pas douces comme des « Buckfast ». Mes petites noires, les soirs de récolte, très fâchées de s’être fait vider leurs placards de provisions sont capables de nous infliger de cuisantes piqûres, dès notre arrivée. Et sur les oreilles, ça chauffe fort !
Je garde le meilleur pour la fin : le temps de la dégustation du précieux nectar transformé en miel.
À chaque récolte, son miel. Un miel naturel n’a jamais le même goût d’une saison à l’autre. Il y a forcément des différences aromatiques selon la météo, les fleurs butinées, l’alchimie secrète des abeilles qui le travaillent (voir article 17-Comment les abeilles font le miel http://miel-et-abeilles-en-touraine.over-blog.com/article-17-comment-les-abeilles-font-le-miel-55021103.html ).
Tels des œnologues certains apiculteurs-goûteurs peuvent distinguer plusieurs dizaines d’arômes pour identifier la provenance et la composition d’un miel. Pour ce qui nous concerne, modestement, nous reconnaissons ce que nous connaissons déjà bien. Nos papilles sont parfois interpelées par une saveur inconnue. Quelle plante ou quel arbre a bien pu donner cette saveur au miel? Alors, nous cherchons dans notre environnement ce qui pourrait nous aider à identifier ce goût. Un autre sens peut nous y aider. Par exemple, si nous nous souvenons avoir entendu le bourdonnement des butineuses à la cime des grands chênes de la forêt (et c’est le cas en ce moment), nous pouvons plus clairement nommer cette tonalité « réglisse », propre au miellat de chêne.
La liste de toutes ces expériences sensorielles, pourrait être longue encore tant l’activité apicole de loisirs demeure une activité d’observation, de contact, de relation « physique » à l’abeille.
Et le 6ème sens alors ?
C’est celui de l’intuition, du ressenti, de cette impression qu’il se passe quelque chose, que l’atmosphère est particulière ce jour-là au rucher. En effet, un essaim part d’une ruche, va planer sur le pré et va rentrer quelques minutes plus tard à la maison car la reine n’a pas pu suivre. C’est encore une vague sensation d’une présence à côté de soi au jardin, ni vraiment un bruit, ni vraiment une odeur. Mais en levant la tête, c’est un essaim qui pend sous la pergola !
Ce 6ème sens est vraisemblablement la résultante d’expériences sensorielles multiples, répétées et qui, devenues inconscientes, vont aiguiller notre perception consciente venant ainsi nourrir notre présence à l’environnement que nous partageons avec les abeilles.
Merci de votre attention.
Un bonjour amical tout particulier à tous les vittoziens d’ici et d’ailleurs qui nous lisent (voir : http://www.coaching-scolaire-vernet.fr/crbst_19.html et http://www.vittoz-irdc.net/spip/Un-peu-d-histoire ).
Marie-France