En décembre, j’ai été frappé par la concomitance de plusieurs articles parus dans nos revues apicoles habituelles. Ils donnent une idée des différentes approches de l’apiculture et nous font nous poser la question : « Quelle orientation voulons-nous prendre dans la conduite de notre rucher ? ».
L’ « Abeille de France » n° 975 revient sur la conférence, lors du dernier congrès national d’apiculture française, d’un apiculteur de Californie qui vante les intérêts de ses ruches « naturelles » et met en avant son principe fondamental pour une apiculture saine :
« … L’espèce des abeilles dites domestiques, Apis mellifera, prise dans son ensemble, a priorité sur nos propres colonies. Les apiculteurs doivent donc être les « bergers » de l’espèce toute entière, et non pas seulement de leurs propres ruches. Car c’est en voulant protéger nos ruches que l’on affaiblit l’espèce. Il découle de ceci que nous devons :
1°) ne pas traiter nos ruches contre les maladies et leurs parasites et,
2°) utiliser et propager seulement des abeilles locales. »
« Abeilles et Cie » n° 139 rapporte les expériences de John Kefuss à Toulouse. Il est arrivé, par la sélection, à se passer de tout traitement anti-varroa. Mais le CARI, à l’origine de cette revue, préconise généralement à ses adhérents un traitement au thymol l’été puis à l’acide oxalique en décembre.
En même temps, « Abeilles et Fleurs » n° 722 nous rappelle les principales opérations de l’année apicole :
1°) Traitements anti-varroa : Thymol 2 fois 15 jours en juillet puis les lanières APIVAR ou APISTAN (suivant les GDSA) en août, puis acide oxalique en décembre et enfin encore en mars, après dépistage, faire encore des traitements en conséquence.
2°) Nourrissements : l’hiver au candi pour les compléments éventuels, stimulation de la ponte de la reine avec du sirop chaud, à partir de mars un litre de sirop après chaque ouverture de ruche, nourrir après chacune des miellées et des récoltes d’un litre de sirop donné en deux fois, en juin nourrir une fois par semaine jusqu’aux miellées, en juillet nourrissement stimulant après la récolte puis nourrir surabondamment au sirop concentré par nourrisseurs pleins jusqu’à 15 litres de sirop par colonie, nourrissement stimulant en août et septembre (jusqu’au 15) à raison d’un ½ litre par semaine.
3°) Conduite du rucher : essaimages artificiels, élevage de reines pour changer toutes les reines, tous les ans en octobre.
Autant dire que la vision de l’apiculture est diamétralement différente d’un auteur à l’autre !!!
Alors quelles orientations allons-nous prendre pour notre rucher en 2011?
Taitements anti-varroas :
Je serais bien tenté par l’expérience de ne pas traiter du tout. Mais dans notre secteur cela signifierait perdre 90 à 100 % de mes colonies comme cela est arrivé à certains. Être seul à le faire dans mon petit rucher alors qu’il y a d’autres ruchers aux alentours ainsi que des colonies transhumées par des professionnels, laisse peu d’espoir d’arriver à la sélection d’une souche résistante. Ça serait aussi donner du grain à moudre à ceux qui voudraient faire interdire l’apiculture aux amateurs.
On sait que les traitements au thymol sont moins performants que les lanières à l’amitraze (en décembre, sur la même période, l’acide oxalique a fait chuter nettement plus de varroas dans mes ruches que dans celles du rucher-école http://ecole-aa37.blogspot.com/2010/12/comptage-de-varroas.html ). Mais tant que l’infestation restera stable et qu’il n’y aura pas de signes viraux, je continuerai à résister à l’usage d’un pesticide. Oui, la très grande majorité des apiculteurs français utilisent un pesticide contre le varroa alors qu’on aurait pu penser qu’ils fussent les premiers à promouvoir des méthodes alternatives. Depuis 5 ans cependant, il y a une évolution dans ce sens, au moins dans les discours où ces méthodes sont maintenant systématiquement citées.
J’en resterai donc aux deux traitements, thymol et acide oxalique, comme le font l’ensemble des apiculteurs belges du CARI et comme cela est autorisé en apiculture biologique.
Pour poursuivre dans cette voie, il faudra que je continue à faire les comptages de chutes de varroas, avant et après chaque traitement, et si besoin, revoir ma position sur le sujet.
Nous avons appris, lors d’une conférence de M. François GANACHAUD (ENSCM Montpellier), que les préparations effectuées par les apiculteurs professionnels par dilution du thymol dans de l’éthanol pouvaient avoir une meilleure efficacité (>95%) de par un effet « flash ». Nous n’avons pas cet effet « flash » avec les produits conditionnés, prêts à l’emploi, leur efficacité allant de 86 à 89% seulement. Cependant nous continuerons à prendre de l’APIGUARD par notre GDSA (Groupement de Défense Sanitaire Apicole) afin de rester conformes au PSE (Plan Sanitaire d’Élevage) car il nous semble important que les apiculteurs (et en particulier les amateurs) restent groupés.
Pour ce qui est des autres maladies, c’est vite vu : il n’existe pas de médicaments autorisés : les antibiotiques sont interdits en France, apiculture bio ou pas. Donc, en cas de suspicion de maladie grave, nous détruirons la colonie et désinfecterons la ruche (voir article n°12 http://miel-et-abeilles-en-touraine.over-blog.com/article-12-mortalite-il-faut-eliminer-cette-ruche-49845215.html ).
Nous continuerons aussi de privilégier les abeilles locales.
Nourrissements :
Si à la lecture de « Abeilles et Fleurs », on comprend pourquoi l’apiculture française consomme autant de sucre qu’elle produit de miel (et on n’est probablement pas les pires !), par contre nous sommes loin du cahier des charges de l’apiculture biologique. Celui-ci n’autorise qu’exceptionnellement les nourrissements avec des succédanés du miel et dans des quantités très limitées.
Personnellement, nous avons d’abord pu constater qu’un nourrissement au sirop après la dernière récolte d’été apportait une réelle amélioration sur le plan sanitaire des colonies.
En suivant les conseils d’apiculteurs réputés comme Jos GUTH, nous avons ensuite augmenté ce nourrissement de fin d’été, ce qui a permis à toutes les colonies de passer l’hiver sans autres apports de nourriture. Mais comme au printemps il en restait encore pas mal dans les cadres, nous diminuons maintenant petit à petit ce nourrissement pour arriver à connaître la quantité réellement nécessaire et suffisante dans notre région. Nous en sommes déjà à deux fois moins que préconisé dans l’article d’ « Abeilles et Fleurs » pour ce nourrissement de fin d’été et nous n’en faisons aucun autre tout le reste de l’année.
Nous nous sommes aussi mis de côté du miel pour nourrir les colonies qui seraient complètement en manque à la sortie de l’hiver.
Essaimages artificiels :
Comme nous ne souhaitons plus augmenter notre nombre de ruches et comme nous n’avons quasiment pas de mortalité hivernale (entre 0 et 10% seulement), nous ne pensons pas refaire d’essaimage artificiel cette année. Et c’est tant mieux, car cette opération nous stresse autant que les abeilles (les apiculteurs chevronnés vont bien se moquer de nous).
Les essaims que nous piégeons ou attrapons, suffisent pour renouveler les colonies orphelines en cours de saison.
Élevage de reines :
De même que je n’arrive pas à me résoudre à éliminer mes vieilles poules qui ne pondent plus depuis longtemps, je n’ai pas le cœur à tuer mes reines tous les ans. Je préfère les laisser essaimer à leur bon gré.
D’accord, c’est bien une réaction de bobo-romantico-écolo car, ici à la campagne, on a l’habitude de dire qu’un animal doit payer son loyer et on fait moins de sentiments avec les vieilles poules.
Même s’il fait perdre en productivité, l’essaimage naturel a aussi des avantages sur le plan sanitaire des colonies : j’en parlerai dans un autre article.
Chaque année, nous récoltons quand même de 25 à 35 kg de miel par ruche ce qui est satisfaisant pour une « apiculture de loisirs » et nous situe dans la moyenne régionale (mais loin des professionnels qui atteignent plus de 60 kg grâce à toutes les techniques citées).
On dirait que je cherche des raisons rationnelles pour justifier ce qui m’arrange : c’est ce que ma psy préférée,… très préférée, appellerait de la « réduction de la dissonance cognitive », car je n’ai pas envie de faire d’élevage de reines malgré toute la bonne volonté de Jean-Pierre et Philippe qui se décarcassent pour partager leur savoir au rucher-école (http://www.lesamisdesabeilles.fr).
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Et pendant que le chef pense, réfléchit, tergiverse … ou rêvasse, ses abeilles travaillent à plein régime pour assurer la survie des colonies (toute ressemblance avec des situations ayant existé ne serait pas totalement fortuite !)
Un rayon de soleil, 15 ° aux ruches et c’est l’effervescence.
Vols de propreté, vols de reconnaissance, sortie des cadavres, repérage des sources d’approvisionnement, premiers butinages en vitesse car la température retombe vite en soirée.
Elles rentrent même du pollen car la ponte de la reine a repris et il faut vite élever de jeunes abeilles pour assurer le renouvellement des colonies.
Mais où trouvent-elles du pollen en ce 16 janvier ?
Eh bien, par exemple, sur ces noisetiers précoces :
Ouf ! Enfin une belle photo : c’est votre récompense d’avoir tenu le coup jusqu’à la fin de cet article technique, personnel et ennuyeux.
Un grand merci pour votre attention, et … à bientôt sur :
http://miel-et-abeilles-en-touraine.over-blog.com
… pour des articles plus « légers »,… peut-être.
Henri
(Remerciements et Bibliographie : voir l’article n° 0 http://miel-et-abeilles-en-touraine.over-blog.com/article-0-remerciements-et-bibliographie-43600752.html )